MZ 1000 S - La Moto «Ztratégique»
La MZ 1000S est
le premier gros quatre-temps développé par la marque : un
nouveau gros twin européen, voilà qui est digne
d'intérêt. D'autant que MZ a fait fort, en choisissant une
architecture nettement démarquée, non seulement des
sempiternels quatre-cylindres en ligne, mais aussi des bicylindres
vedettes du marché, en V pour les plus sportifs ou à plat
pour les plus traditionnels. La 1000S présente tout bonnement le
plus gros twin parallèle jamais mis en production !
Double arbres
à cames en tête, refroidissement liquide, injection et
cotes super-carrées, voilà de quoi lutter à armes
égales avec les mécaniques du moment. Ce qui distingue ce
bicylindre est son alignement parallèle, une configuration
particulièrement favorable à produire un moteur compact.
Des gamelles de cette taille doivent bien sûr être
calées à 180°, pour limiter les vibrations (un piston
descend quand l'autre monte), mais l'architecture parallèle ne
limite pas les vibrations résiduelles aussi bien que peut le
faire un V-Twin, bien positionner des masses d'équilibrage sur
le vilebrequin ne suffit pas. MZ a donc logé en plus un arbre
d'équilibrage avec ses propres masselottes, à l'avant du
carter.
Pour obtenir un
taux de compression élevé, et donc des performances, les
grosses soupapes (40mm à l'admission, 32 à
l'échappement) sont montées tête bien à plat
et donc queues bien verticales, et pour ne pas trop couder les conduits
d'admission il faut implanter relativement haut les gros Bing
pilotés par l'injection Sagem. Une telle disposition sur un twin
vertical mènerait à un encombrement en hauteur excessif,
sur la MZ le banc de cylindres basculé de 40° vers l'avant
facilite son implantation dans le cadre (une solution
déjà utilisée par Yamaha sur ses moteurs Genesis).
Une autre
particularité notable de ce moteur est cachée dans sa
distribution. Bon d'accord, un double arbre à cames en
tête ça n'a rien d'exotique de nos jours ; en revanche les
deux arbres sont entraînés par un dispositif original. La
chaîne d'entraînement de distribution est logée sur
le côté droit et maintenue en tension par un dispositif
hydraulique, que du bon classique jusque là, mais elle
s'arrête sous les arbres à cames ! Le reste du boulot est
assuré par des engrenages. L'ensemble présente moins
d'inertie et de frottements qu'un train d'engrenages complet remontant
du vilebrequin, et la chaîne tendue entre deux axes est moins
longue que si elle devait aller plus haut et faire le tour des deux
arbres à cames avec une disposition en triangle, d'où un
gain de robustesse et une tension plus facile à gérer.
Au final, 98
chevaux à 9000 t/mn ; et à 7000 on dispose de 9,3 m.kg de
couple et déjà 91CV. Juste pour situer le joli potentiel
du moteur, la version libre ne fait pas beaucoup mieux à 7000
t/mn, avec 9,7 m.kg et 95CV ; mais annonce un joli 115CV à 9000
qui n'est pas surestimé (mesuré au banc Moto Magazine
n° 207 de mai 2004 : 118CV).
Cependant, un
moteur compact et qui pousse bien ne suffit pas. Il faut une
partie-cycle de qualité pour l'exploiter. Et MZ ne s'est pas
raté sur ce point. En commençant par un coup de
maître : capitaliser en repartant du cadre
périmétrique tubulaire Tigcraft, doublé pour
l'occasion. Outre le savoir-faire acquis et la bonne réputation
du comportement des Skorpions, l'identité visuelle
apportée par ce design réussi et typé commence
à donner une signature forte à la marque. MZ n'a sans
doute pas par hasard offert une vue imprenable sur le cadre de sa
1000S, parfaitement souligné par l'ensemble
selle-réservoir au-dessus, et par le bord du carénage en
dessous. Y'en a qui réfléchissent et savent ce qu'ils
font, du côté de Zschopau ...
Pas de
silentblocs pour le montage du moteur dans ce cadre, il participe
à la rigidité d'ensemble. Les vibrations restant
mesurées grâce au calage à 180° et à
l'arbre d'équilibrage déjà évoqué,
c'est un choix judicieux. Une fourche inversée Marzocchi de 43mm
et un mono-amortisseur Sachs articulé sur un beau bras tout alu
assurent la suspension (120mm de débattement de part et d'autre).
Pour freiner
fort, deux belles galettes de 320mm (rien que ça !) officient
à l'avant avec des étriers Nissin quatre pistons ; et un
simple disque de 243mm à l'arrière, étrier double
pistons. Un équipement signalé utilisé sur
certaines séries de MV Agusta F4 ! Tous ces
éléments de qualité contribuent à faire de
la 1000S une moto qui n'a en rien à rougir face à la
concurrence la plus relevée.
Les jantes de 17
pouces sont magnifiques, elles aussi. Elles sont en alliage
léger, bien sûr, et sont assemblées comme deux
demi-jantes jumelées, en laissant visible un vide impressionnant
au cœur de leurs trois bâtons creux. C'est un brevet MZ,
c'est joli et ça permet un gain de poids, et tout gain sur les
roues est particulièrement important, les cyclistes
expérimentés comprendront ce que je veux dire !
Pour finir le
tour d'horizon statique, un mot de l'habillage. Sportif, au premier
abord. Plutôt grosse sportive, d'ailleurs, la bête est
impressionnante, ce que confirment ses 229kg en état de marche.
Les lignes sont à la fois sobres et viriles, originales et
agressives. Les découpes aiguës viennent en rupture sur les
formes rondes, lui donnant la beauté brute et un peu
inquiétante qu'on retrouve sur le carénage d'un avion
furtif comme le F117. Un design qui séduit ou rebute, mais qui
ne laisse pas indifférent ; là encore MZ a je pense fait
un choix judicieux pour marquer les esprits. En tous cas, moi, j'ai
flashé dessus dès que je l'ai vue !
Le plaisir du
gros twin commence dès qu'on a enfourché la moto et que
le moteur s'anime, au premier coup de démarreur : un
halètement sourd et profond, prometteur. C'est un peu
saccadé, pas tout à fait régulier, et on ressent
la moto vivre. La selle est un poil haute pour mon 1m71, je pose les
deux pieds au sol mais sans les talons. Dès que la moto roule,
la position devient parfaite, les demi-guidons ne sont pas si sportifs
que ça, le réservoir procure un appui agréable et
les repose-pieds sont parfaitement placés, jambes
légèrement pliées pour permettre de bons appuis,
selle large et confortable.
La
régularité cyclique d'un twin parallèle
calé à 180° n'est pas idéale, et ça se
sent sous 3000t/mn sur la grosse MZ. Il faut éviter d'y mettre
du gros gaz et ne pas y abuser du frein moteur. Une fois ce mode
d'emploi compris et le moteur bien rodé, ce
désagrément s'estompe. Pour éviter ça, il
aurait pu y avoir l'idée d'un calage à 360°, mais
l'expérience britannique (pensons à la Bonneville, par
exemple) a démontré les limites du concept, les hauts
régimes devenant vite destructeurs pour tout ce qui
n'était pas monté sur caoutchouc, et jusqu'à des
fissures de cadre ! Merci, je tiens à ce que les plombages de
mes dents restent en place, je garde la solution MZ.
Au-dessus, que
dire, à part que ça avionne ? Eh bien justement, si,
ça mérite un commentaire. Car des bécanes qui
avionnent, ça ne manque pas sur le marché. Mais là
où un quatre cylindres hurle, un gros twin gronde ; et ça
fait toute la nuance. Les sensations priment sur la performance
absolue, tant pour le plaisir du motard que pour la durée de vie
de ses points de permis ! Ce qui est particulièrement
jubilatoire avec la MZ, c'est de profiter de ses sensations à
mi-régime tout en sachant qu'au-dessus, si on veut, y'a
qu'à demander, y'a de la perf de haut niveau ... Et ça
fait une grosse différence avec bien des Moulinex
pousse-au-crime, épatants à hauts régimes, mais
comparativement fades et donc tellement frustrants aux régimes
usuels. Là encore, MZ (comme quelques autres constructeurs tels
Voxan) a fait un choix judicieux : un bicylindre performant, si
traditionnel puisse-t-il apparaître, est une réponse
pertinente à notre société moderne. J'en veux pour
preuve la belle place que prennent peu à peu sur le
marché les gros bi italiens performants, Ducati et Aprilia,
ainsi que les "contres" des constructeurs Japonais, avec des V-twins
chez Honda et Suzuki, et avec l'inflation de cylindrée sur des
quatre-pattes axés sur le couple.
Côté
tenue de route, la MZ m'a tout simplement bluffé,
épaté. D'accord, je n'ai pas essayé beaucoup de
superbikes, et je ne suis pas un pilote pointu ; mais après
vingt ans de moto cette bécane m'a fait découvrir un
autre monde. Pour dire, j'ai eu un flash-mémoire après
les premières courbes rapides passées à son
guidon, aussi aisément et naturellement que si ç'avait
été en ligne droite : ça m'a rappelé la
première fois où j'ai conduit la Mercedes 250 de mon
père sur autoroute, quand je roulais à l'époque
avec une Fiat 127 (et un twin vertical Honda, une CB250T)... La MZ est
neutre, à la fois stable, imperturbable et confortable tant
qu'on ne lui demande rien, y compris en pleine courbe, et parfaitement
réactive aux impulsions de conduite lorsqu'on a besoin de
changer de trajectoire, aisée à basculer et à
nouveau immédiatement stable une fois dans la position
souhaitée. Bluffante, je vous dis ! Sur petites routes et
virages plus serrés, les petites impulsions ne suffisent plus
(c'est tout de même un gros cube !), en revanche la selle bien
plate et l'ensemble de la position, avec d'excellents appuis,
permettent de sortir très naturellement d'un côté
à l'autre, et avec la bonne garde au sol on joue au pilote en se
faisant plaisir, sans nécessairement chercher les limites.
La 1000S est une
MZ stratégique. Elle ne vise certes pas le plus grand nombre des
motards mais elle ne peut pas être un coup tactique commercial
sans lendemain, au vu des investissements lourds qu'elle
représente, et de l'intelligence que ses concepteurs ont
injecté dans le projet. C'est du mûrement
réfléchi de la part du constructeur. Peu importe son
succès commercial, cette moto fera date et je suis convaincu que
la validité de ses concepts et la qualité des composants
principaux (cadre et moteur) lui vaudra une descendance durable ; elle
restera une moto unique à la tête d'une lignée
marquante. Alors franchement, avoir une moto unique et marquante pour
un prix absolu certes élevé mais totalement
justifié par la qualité des composants, et pas si mal
placé que ça sur le marché (regardez bien !),
ça vaut le coup. De toutes façons, au coût de
revient d'un tel développement pour MZ, on peut
considérer que le prix est "cadeau", et avec la même somme
vous pouvez aussi choisir une moto de monsieur tout-le-monde !
Le mot de la fin
restera au magasinier Honda chez qui j'achetais une bricole : "c'est
à toi, la MZ ? .....(un temps rêveur, le regard
posé sur la 1000S) ..... ils bossent bien, ces Allemands..."
Eric Bonneau
Article original paru dans "The Timeless Magazine" N°1 de janvier 2006 - Web - Mensuel offert par Trophy-Motos